En France, la vétusté des prisons et la surpopulation carcérale ne cessent de s’aggraver. La Cour européenne des droits de l’Homme a pourtant condamné à plusieurs reprises les traitements inhumains et dégradants imposés aux détenus.
Dormir par terre, ce n’était pas écrit dans ma peine. Me faire piquer par des punaises de lit, ce n’était pas écrit dans ma peine. Ne pas avoir accès à l’enseignement ou au travail, ce n’était pas écrit dans ma peine. J’ai été condamné à dix ans de réclusion criminelle, à la privation de liberté. Je n’ai pas été privé de ma dignité. » En 1996, Karim Mokhtari a tout juste 18 ans lorsqu’il découvre sa première cellule à la maison d’arrêt d’Amiens : un espace comme une « cave exiguë », avec deux lits superposés et des murs défraîchis couleur pastel. Un évier et un toilette séparés du reste de la pièce par un muret ne laissent aucune place à l’intimité. Le plafond goutte ; l’air est lourd, saturé d’humidité, et les moisissures se sont installées. Aujourd’hui quinquagénaire, il ironise : « C’est le jour de mon incarcération que j’ai découvert qu’il y avait des champignons à poils : des bleus, des verts, des marrons. De toutes les couleurs. »
L’indignité des conditions de détention est régulièrement dénoncée par des ONG et associations. Ancien détenu et fondateur de Mur’Mures, Yannick Deslandes a recours à une cellule mobile pour sensibiliser à la réalité du monde carcéral. © DR
Pourtant, avant de franchir le seuil de la prison, le drapeau français flottant au-dessus du bâtiment l’avait presque rassuré. Lui qui avait grandi entre violences intrafamiliales et foyers éducatifs espérait trouver, derrière ces murs, un cadre capable de l’aider à changer. « Je me disais : c’est une institution républicaine, donc c’est sûrement à la hauteur des valeurs qu’on prétend défendre à l’autre bout du monde à coup de mortier. »
167 %
Taux d’occupation moyen des prisons selon les statistiques mensuelles du Ministère de la Justice (novembre 2025)
Selon Eurostat, la France est le deuxième pays européen avec le plus fort taux d’occupation carcérale, juste derrière Chypre. En 2020, puis en 2023, le gouvernement français a aussi été épinglé par la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) pour sa politique carcérale. Les juges ont estimé que les conditions de détention portaient atteinte à la dignité humaine et que les personnes incarcérées ne disposaient pas d’un recours effectif pour signaler ou améliorer leur situation. « Les prisonniers restent nos concitoyens. Ce n’est pas la peine de les traiter comme on les traite », insiste Dominique Simonnot, la Contrôleuse générale des lieux de privation de liberté (CGLPL).
Vous trouvez des gens entassés, qui n’ont plus accès aux activités, aux service médicaux, qui font leurs besoins devant les autres.
Dominique Simonnot
Depuis fin octobre, Paul* bénéficie pour la fin de sa peine d’un placement extérieur à l’association strasbourgeoise Caritas, qui l’aide à sa réinsertion. © Eva Lelièvre
Un monde fermé et tenu à l’écart
Enquêter sur le milieu carcéral est difficile. Pour accéder aux centres pénitentiaires, les journalistes doivent solliciter une autorisation auprès de l’administration ou accompagner un·e parlementaire. Malgré nos nombreuses demandes, nous-mêmes n’avons pu entrer dans la moindre prison.
La faible médiatisation du sujet en accentue la méconnaissance et conduit souvent à de la désinformation. Les cellules – parfois visibles dans les médias – équipées d’une télévision, d’une plaque chauffante et d’autres matériels « de confort » sont celles de personnes en détention depuis plusieurs années et qui ont investi dans ces objets avec leur propre argent. Chez certaines personnes sous écrou, cela se traduit par le « choc carcéral », qui découle du décalage entre un monde libre à un monde complètement fermé, où ils et elles n’ont plus de contrôle sur leurs actes.
De façon générale, « la population connaît très mal son système judiciaire », concède Me Jean-Marc Fedida, avocat ayant participé à la condamnation de 2020 par la Cour européenne des droits de l’homme. Une situation qui alimente l’absence de volonté politique sur ces questions, comme le souligne la Contrôleuse générale des lieux de privations de liberté, Dominique Simonnot : « C’est un sujet que personne ne veut voir et que les responsables politiques mettent de côté. Personne ne le leur reprochera, sauf en cas de drame. »
* La personne n’a pas souhaité donner son nom de famille
** Le prénom a été changé
ZOÉ FRASLIN et EVA LELIÈVRE
À Strasbourg (France)
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