Depuis 2015, la politique migratoire européenne s’est nettement durcie. À Samos, en Grèce, comme à Calais, en France, les demandeurs d’asile sont enfermés dans des camps isolés, exposés à l’arbitraire ou condamnés à l’errance.
© Centre universitaire d’enseignement du journalisme
Le centre à accès fermé et contrôlé de Samos a été construit par l’Union européenne. Il se trouve dans une zone isolée de l’île, elle-même située à quelques encablures de la Turquie. Pas moins de 4000 personnes y vivent confinées. © Diarouga Balde
Emmitouflé dans sa doudoune noire, Ahmed discute avec un salarié du Secours catholique dans le hall de l’association, à Calais. Le Soudanais a obtenu l’asile France il y a un an. La vingtaine, il est électricien et est hébergé par une bénévole en attendant de trouver un logement. Une modeste stabilité qui est pourtant le fruit d’un pesant imbroglio juridique.
Le jeune homme fait partie des quelque 150 000 personnes ayant rejoint l’Italie en traversant la Méditerranée en 2023. Il a accosté en Sicile en août sur un navire de fortune, un an après avoir fui les geôles des milices paramilitaires du Soudan. Les policiers le contraignent aussitôt à déposer ses empreintes digitales. « Ils m’ont dit : “Si tu ne le fais pas ici, tu pars en prison” », se souvient-il.
Ahmed ne le sait pas encore, mais il vient de se soumettre au Règlement européen Dublin III, en vigueur depuis 2013. Ce texte contraint les personnes exilées à lancer leurs démarches administratives dans le premier pays de l’Union européenne dont ils franchissent la frontière. Dans le jargon, on dit du Soudanais qu’il a été dubliné. Mais c’est une fois arrivé en France, quelques jours plus tard, qu’un commissariat de police lui annonce la nouvelle : « J’ai fait une demande d’asile en Italie ! Je ne le savais pas. Je voulais partir en Angleterre », s’étonne Ahmed. Une méconnaissance devenue courante tant l’obtention d’un statut de réfugié en Europe est aujourd’hui devenue un parcours du combattant.
« Ce genre de situation arrive très souvent, commente Vincent Thalinger, avocat au barreau de Strasbourg. À leur arrivée en Europe, les personnes peuvent choisir de donner leurs empreintes en requérant l’asile, ou de le faire sans demander de protection ». Selon Me Thalinger, il est cependant fréquent que la police aux frontières n’enregistre pas correctement la demande des nouveaux arrivants.
Dans les campements du Calaisis, les conditions de survie sont précaires. Pour avoir accès à l’eau, les exilés doivent remplir des bidons grâce à des cuves installées par les associations. © Tom Soriano
Une probable confusion lourde de conséquences pour Ahmed. Lorsqu’il arrive en France, les autorités font un signalement à leurs homologues italiens. Si la Péninsule accepte de le prendre en charge, l’Hexagone peut expulser le jeune homme dans un délai de six mois. « Mais certains pays, comme l’Italie, ne sont pas en capacité d’accueillir correctement les demandeurs d’asile, regrette Me Thalinger. Normalement, la protection d’un État s’accompagne d’une série de droits, comme l’accès au logement. Il arrive pourtant que de nombreuses personnes se retrouvent à la rue. »
C’est après deux ans d’errance, et sans réponse des autorités italiennes, que le dubliné obtient finalement une protection à la préfecture de Lille. Sa décision est prise : lui qui rêvait d’aller en Angleterre s’installe finalement en France.
Normalement, la protection d’un État s’accompagne d’une série de droits, comme l’accès au logement. Il arrive pourtant que de nombreuses personnes se retrouvent à la rue.
Vincent Thalinger
Tous les exilés présents à Calais n’ont pas le même parcours. Certains, déboutés du droit d’asile, s’accrochent à l’espoir de rejoindre l’Angleterre. D’autres errent dans la région après avoir épuisé toutes les alternatives.
Leurs conditions de vie se sont nettement dégradées depuis le démantèlement de la « Jungle » de Calais. Notamment en raison de la destruction systématique de tout nouveau squat depuis 2016. « Pendant longtemps, il y a eu des campements installés sous les ponts du centre-ville, se souvient Julie (à sa demande, son prénom a été modifié), juriste au sein de l’association Human Rights Observers. Sur ces sites, la commune a déversé des tonnes de rochers pour empêcher les personnes exilées de s’établir. Ça n’a pas fonctionné, les gens se sont juste installés dans les interstices qu’ils trouvaient. »
Pour celles et ceux qui trouvent malgré tout un endroit où planter une tente, les expulsions sont monnaie courante, et les procédures expéditives. « Le propriétaire du terrain, souvent la commune, porte plainte pour occupation illégale de son bien. Puis, le procureur ouvre une enquête pour identifier les auteurs de l’infraction, développe la juriste. L’enquête prend la forme d’un convoi de police qui vient sur le lieu de vie avec une équipe de nettoyage. Ils saisissent les affaires, et l’infraction est réglée temporairement. Puis les gens reviennent juste après. »
La méthode est pourtant bien éloignée des procédures d’expulsion prévues par le droit, qui offrent aux personnes concernées la possibilité de se défendre devant un tribunal. Les associations dénoncent donc une politique de harcèlement et d’usure, visant à pousser les personnes exilées à quitter Calais.
Rasta est l’un des membre actifs de ce milieu associatif. Au volant de la camionnette blanche du Secours catholique, l’animateur se rend chaque semaine sur les squats du Calaisis. « Putain, ça a encore grossi ! », souffle-t-il aux abords du principal campement, surnommé Hospital. En quelques jours, de nouvelles tentes sont apparues un peu partout, entre des bidons d’eau vides et des couvertures de survie.
Ce mardi matin, l’équipe du Secours catholique déploie une bâche sur la terre boueuse et installe deux générateurs. Les habitants du camp s’amoncellent autour des prises électriques pour récolter quelques pourcentages de batterie. D’autre vont chercher une boisson chaude. Pendant ce temps, Rasta échange quelques accolades avec les exilés, qu’il dit considérer comme ses « frères ». Ces sourires dissimulent toutefois une réalité plus difficile : à Calais, les organisations d’aide sont débordées. « Vendredi dernier, j’ai assisté à une scène surréaliste où une association a dû faire un tirage au sort pour proposer une place en hébergement d’urgence. C’était la solution la plus équitable, car toutes les personnes qui attendaient avaient un critère de vulnérabilité à ce moment-là », raconte Rasta. Antoine, qui coordonne les sessions d’accompagnement juridique du Secours catholique, ajoute : « À Calais, la capacité d’hébergement est exactement la même en novembre et en décembre que pendant le reste de l’année. On peut noter les personnes sur une liste d’attente, mais elle est déjà pleine à craquer. »
Les organisations d’aides craignent d’être d’autant plus occupées que la France et le Royaume-Uni ont ratifié, le 6 août 2025, un accord bilatéral prévoyant d’expulser systématiquement vers la France les migrants et migrantes arrivées en Angleterre sur des embarcations de fortune. En contrepartie, le Royaume-Uni promet d’accueillir autant de personnes n’ayant jamais tenté de traversée illégale, après examen de leur dossier.
Un accord très critiqué, notamment par la Commission nationale consultative des droits de l’homme. L’institution dénonce « des atteintes aux droits fondamentaux et aux obligations internationales des deux pays », s’appuyant notamment sur la Convention de Genève de 1951. « Ce mécanisme crée un système particulièrement cynique et déshumanisant : la traversée d’une personne de manière légale vers l’Angleterre dépend de l’expulsion et de la traversée dangereuse d’une autre, avec l’aide de passeurs », s’insurge la Commission.
D’après les gouvernements, ces accords bilatéraux visent à protéger les personnes exilées. Le but serait de les dissuader d’opter pour des passages clandestins risqués. L’argument ne convainc pas Rasta. « C’est leur rêve, d’aller en Angleterre ! Je reste persuadé qu’ils ont une résilience telle que même si tu mets des mines dans l’eau, ils essaieront de traverser quand même. Ils sont acculés. Ils ne peuvent pas faire demi-tour ! C’est le dernier rempart. »






DIAROUGA BALDE et TOM SORIANO
À Samos et Athènes (Grèce) et à Calais (France)
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