La liberté académique fait face à des attaques sans précédents. Même en France, les enseignants-chercheurs souffrent d’ingérences politiques, qui accentuent leurs divisions.
Devant un amphithéâtre rempli d’une centaine d’universitaires attentifs, Nacira Guénif-Souilamas, sociologue et anthropologue, parle d’une voix claire : « L’université est un lieu féroce. » Vendredi 13 décembre, un amphithéâtre de la Sorbonne accueille le colloque intitulé « Approches féministes décoloniales des libertés académiques ». Les intervenants réunis partagent le sentiment d’une dégradation du climat de l’enseignement supérieur.
Lors de la conférence, les intervenants nourrissent leurs échanges d’anecdotes sur les représailles qu’ils disent avoir subies après la publication de leurs travaux : « J’ai été ciblé par des universitaires d’extrême-droite », « J’ai été agressé dans la rue », « J’ai reçu des menaces de viols. » Marc Jahjah, maître de conférences en sciences de la communication à Nantes Université, raconte s’être fait cracher dessus dans la rue à la suite de ses travaux sur les identités queers, féministes et sur le décolonialisme.
Entre menaces, cyberharcèlement et ostracisation… Tous dressent un tableau des plus sombres du climat de la recherche en France. L’université, ce lieu conçu comme un espace d’émulation intellectuelle où les chercheurs entendent suivre librement le fil de leur intérêt et s’exprimer sans filtre, essuie de plus en plus d’attaques contre son indépendance.
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La baisse du budget alloué à l’enseignement supérieur et à la recherche en France entre 2024 et 2025.
Face à cette intervention ministérielle, l’administrateur du Collège de France, Thomas Römer, décide de son annulation. De nombreux universitaires s’insurgent contre une décision jugée liberticide et voient l’intervention du ministre comme une pression directe contre leur indépendance. En réaction, une pétition est lancée par l’Association des universitaires pour le respect du droit international en Palestine (Aurdip) et signée par près de 2 800 personnes.
Trois questions à Jérôme Heurtaux, maître de conférences en science politique à l’université Paris-Dauphine. Il a dirigé l’ouvrage Pensées Captives. Répression et défense des libertés académiques en Europe Centrale et orientale, Codex, 2024. © Centre universitaire d’enseignement du journalisme
Les universitaires, en raison de leur indépendance, représentent une voix légitime qui peut s’opposer à l’État. Elle devient gênante quand elle va à l’encontre des idées dominantes.
Danielle Joly, professeure en sociologie
Rachele Borghi est maîtresse de conférences en géographie sociale et culturelle à Sorbonne Université. Son domaine, les études postcoloniales queers et féministes, est précisément l’un de ceux qui subissent des attaques. « Activiste transféministe décoloniale » revendiquée, elle estime que les libertés académiques sont instrumentalisées pour « maintenir les privilèges, les discours dominants et la ligne du gouvernement ». Elle affirme avoir reçu un coup de fil d’intimidation de la part du président de l’université lors de son recrutement, pour lui signifier qu’elle n’était pas la bienvenue.
Rachele Borghi, maîtresse de conférences en géographie sociale et culturelle, est l’organisatrice de cette journée de colloque. © Carol Burel
Parmi elles, la protection fonctionnelle systématique des universitaires attaqués en raison de leurs recherches ; le renforcement des sanctions contre les procédures-bâillons ; ainsi que la promotion de la liberté académique auprès du grand public. Il est également question de constitutionnaliser la liberté académique afin de limiter les atteintes potentielles de nouvelles législations contre l’indépendance des chercheurs.
CAROL BUREL
À Paris (France)
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