Une rupture écologique ?

Le 11 décembre 2025, Maxime Pierrel manifeste à Épinal (Vosges) contre l’abattage des troupeaux touchés par la dermatose nodulaire.

© Maud Karst

Vaches maigres pour la filière bio

Après une phase d’engouement, le secteur du bio fait face à un désengagement politique qui coïncide avec une baisse de sa consommation. Une crise qui menace l’avenir de la filière.

Texte : 

Gaïa Herbelin et Maud Karst

“À un moment donné, beaucoup de paysans sont passés en bio pour des raisons économiques. Aujourd'hui, c'est moins intéressant d'être en bio qu'en industrie, donc ils se déconvertissent.” Fourche dans une main, pancarte dans l’autre, Maxime Pierrel accompagne les éleveurs et éleveuses de bovins, touchés par l’abattage des troupeaux contaminés par la dermatose nodulaire. Il s’est joint au rassemblement le 11 décembre devant la préfecture des Vosges, à Épinal, à l’appel de la Confédération paysanne et de la Coordination rurale.

Depuis 2017, Maxime Pierrel est éleveur d’agneaux et cultivateur de pommes de terres à Xertigny (Vosges), le tout en agriculture biologique. S’il a réussi à passer le cap, le Vosgien observe qu’aujourd’hui, la conversion en bio se complique. L’année 2025, en particulier, acte de nombreux reculs: suppression de l’aide au maintien de la bio, d’un montant de 150 euros par hectare; abaissement de l’écorégime L’écorégime est une aide de la PAC versée aux agriculteurs qui adoptent des pratiques plus favorables à l’environnement., annoncée à 110 euros par hectare et qui passe finalement à 96 euros; rabotage de 10 millions d’euros du fonds d’Avenir bio; amputation de deux tiers du budget de l’Agence bio, chargée de développer la filière et de promouvoir la consommation de produits bio. Selon cette dernière, même le soutien européen s’est affaibli: aujourd’hui, la PAC ne consacre qu’un quart de son budget aux aides dédiées au bio, contre presque 40% il y a dix ans. Pour l’éleveur Maxime Pierrel, “il y a un désengagement politique”.

Redistribution des aides

S’ajoute à cela qu’une partie de l’aide à la conversion en agriculture biologique, destinée à accompagner les agriculteurs qui souhaitent passer en bio, n’a pas été dépensée. Le nombre d’hectares convertis en bio a été inférieur aux prévisions du gouvernement, et la somme restante attise les convoitises. Une crainte persiste: voir cette enveloppe redistribuée ailleurs En mai 2025, Alain Duffourg, sénateur socialiste, interroge le gouvernement quant à l’utilisation de ces fonds, inquiet de ne pas les voir redistribués au secteur du bio. Le gouvernement répond qu’une concertation est en cours pour décider de l’affectation de ces montants., notamment vers l’agriculture conventionnelle. Selon Jonathan Bouton, paysan bio dans la Marne, le rapport de force n’est pas en faveur de l’agriculture bio: “Ce sont deux mondes qui s’affrontent.”

La Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA) domine les instances de représentation. Un frein supplémentaire, aux dires du maraîcher, pour qui le modèle promu par ce syndicat, “tourné vers l’export” et l'utilisation de produits phytosanitaires, est incompatible avec l’agriculture biologique. Élu à la chambre d’agriculture de la Marne, il considère que le problème provient du bureau de l’instance, qui impulse les orientations agricoles. Il dénonce un “entre-soi” empêchant le véritable développement d’un autre modèle agricole, comme la bio. “Et si jamais les gouvernements sont en lien avec la FNSEA, alors ce n'est même pas la peine”, se décourage Jonathan Bouton. La chambre d’agriculture de la Marne emploie des conseillers et conseillères dédiées à l’agriculture biologique et propose des aides à la conversion au bio et des formations.

Soutien insuffisant

Un rapport de la Cour des comptes publié en octobre 2025 pointe du doigt le manque de soutien des chambres d’agriculture. Les magistrats y reprochent aux instances consulaires un engagement insuffisant sur le terrain de la transformation environnementale: “L’action du réseau des chambres d’agriculture auprès de l’agriculture biologique est cependant d’ampleur limitée, surtout depuis son entrée en crise en 2019-2020. D’abord timide, il est venu accompagner le succès du marché bio jusqu’en 2020 avant de se mettre en retrait alors que le secteur entrait en difficulté, faisant peser un risque de déconversions.”

Dans la région Grand Est en particulier, le rapport souligne la faiblesse des moyens alloués, avec “pour le bio entre 5 et 10% de ses moyens humains dont seulement 1,5 ETP Équivalent temps plein, correspond à un agent employé à temps complet. pour la seule chambre régionale”. La Cour des comptes reproche également l’attitude des chambres d’agriculture, qui investissent dans la filière lorsqu’elle est en pleine croissance, et limitent leur soutien quand elle est en crise.

Or, de 2021 à 2022, la consommation de bio a connu une baisse de 4,6% avant de se stabiliser l’année suivante et de connaître une légère hausse de 0,8% en 2024, selon l’Agence bio. Malgré cette remontée, l’achat de produits bio dans les grandes surfaces généralistes a tout de même chuté de 5,1% la même année.

Jeannine Ladonnet est agricultrice bio. Elle est dans sa ferme, entourée de son troupeau de bovins.

Éleveuse vosgienne, Jeannine Ladonnet produit elle-même la nourriture de ses bêtes.

© Maud Karst

L’enjeu ne se limite pas aux aides financières. Dès l’installation, les néo exploitants et exploitantes sont conseillées par les différents organismes dont les chambres d’agriculture, qui les orientent souvent vers le conventionnel au motif de la viabilité des projets. Jeannine Ladonnet, éleveuse fromagère à la Ferme du clos marin dans les Vosges, est passée par ces services en 2003 et en garde un souvenir amer: “C’est l’Adasea Association de développement, d'aménagement et de services en environnement et en agriculture. Elle assurait des missions de service public dont l’installation des exploitations agricoles jusqu’en 2011, date à laquelle cette mission a été attribuée en priorité aux chambres d’agriculture. qui a fait le projet d’installation. On nous disait que pour s'en sortir, il fallait avoir plus de vaches. Sauf que plus de vaches sur pas plus d'hectares, ça voulait dire intensifier. Ce n'était pas dans notre ADN, on voulait que ça ait du sens. Quand il y a eu la crise du lait en 2004, ils nous ont dit qu’il fallait augmenter le nombre de vaches, mais ça faisait trop de bestioles. On a touché le fond de la piscine.” L’exploitante prend alors la décision de changer de cap: “On a commencé par signer un contrat d'agriculture durable en 2007. En 2010, on a signé en bio. Aujourd’hui, on fait environ 40 000 euros de bénéfice agricole par an, contre 20 000 euros par an avant.”

Malgré la nette amélioration de sa situation, Jeannine Ladonnet reste tributaire des aides financières: “Malheureusement, les aides, on aimerait bien s'en passer, mais comme tout le monde, on les prend. Les aides à la conversion existent encore, c'est l'aide au maintien qui n'existe plus. À partir du moment où on aurait pu la toucher, elle s'est arrêtée…”

Pourtant, gouvernement et chambres d’agriculture se sont engagées à développer la filière bio à travers le plan Ambition bio 2027, qui fixe plusieurs objectifs à l’échelle nationale, comme atteindre 18% de surface agricole utile (SAU) en bio d’ici 2027. L’objectif est de se rapprocher des ambitions européennes, qui visent 25% de SAU en bio en 2030. Pour l’heure, la France compte seulement 10% de SAU en bio. La région Grand Est n’atteint même pas le seuil des 8%.

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