L’écologie punitive expliquée avec des petites voitures
Ce terme est présent depuis près de vingt ans dans le débat public pour dénoncer des mesures environnementales qui cibleraient les ménages modestes. Décryptage en trois minutes.
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La future raffinerie de métaux rares devrait s’implanter au bord de la Garonne. Dessin non représentatif.
© Titouan Boiteux (photo) et Esther Dabert (dessin)
L’entreprise EMME souhaite implanter une raffinerie de métaux rares au nord de Bordeaux pour relocaliser une partie de la production de batteries électriques. Cet enjeu stratégique justifie des dérogations qui inquiètent les défenseurs de l’environnement.
Texte :
Esther Dabert
Vidéo :
Titouan Boiteux et Mathis Nicod
La notion de raison impérative d’intérêt public majeur (RIIPM) s’est invitée dans les débats sur le projet d’autoroute A69. Un mécanisme juridique complexe pensé pour arbitrer entre développement économique et protection de l’environnement qui est loin de faire consensus.
C’est une question qui a enflammé les rangs de l’Assemblée: le projet de l’autoroute A69 visant à relier Toulouse à Castres (Tarn) relève-t-il d’une raison impérative d’intérêt public majeur (RIIPM)? En février 2025, le tribunal administratif de Toulouse a estimé que non, et annulé l’autorisation environnementale du chantier, dont l’aboutissement semblait dès lors compromis.
Mais bien déterminé à voir le projet émerger, l’État, s’appuyant sur le soutien de nombreux élus, habitants et acteurs économiques locaux, a fait appel. La décision de la cour administrative d’appel de Toulouse attendue fin décembre 2025 pourrait donc s’avérer déterminante pour l’avenir du chantier. Car sans validation de la RIIPM, pas d’autoroute.
Derrière les cinq lettres de cet acronyme se cache une notion héritée du droit européen, tout autant stratégique que controversée, permettant d’obtenir une dérogation aux principes sanctifiés de protection de la biodiversité et des écosystèmes.
L’Union européenne en a fait l’un de ses piliers. Depuis les années 1970, la préservation des “oiseaux, chiroptères, espèces végétales et animales, et les milieux naturels dans lesquels ils sont censés vivre” est devenue un impératif pour les États membres, analyse un agent de la fonction publique Il a souhaité rester anonyme afin de respecter son devoir de réserve. longtemps passé par le ministère de l’Environnement.
“Il y a des experts internationaux qui assurent la légitimité scientifique d'un certain nombre de faits que personne ne peut contester, notamment la perte de la biodiversité en Europe, et particulièrement dans des pays comme la France”, complète Raphaël Romi, ancien professeur de droit de l’environnement et l’un des fondateurs du parti Les Verts en 1983.
Parmi les textes les plus notables: les directives Oiseaux de 1979 Actualisée en 2009, elle vise la conservation de tous les oiseaux sauvages en fixant des règles pour leur protection, leur conservation, leur gestion et leur régulation. et Habitats-Faune-Flore de 1992 Son objet est de contribuer à assurer la biodiversité par la conservation des habitats naturels, de la faune et de la flore sauvages. qui, ensemble, ont donné naissance au réseau Natura 2000. Plus grand réseau écologique du monde, il comprend des zones spéciales de conservation et de protection d’habitats naturels et d’espèces sur l’ensemble du territoire européen. “À partir de là, s'est produit au niveau européen et dans les États membres, l'idée qu'on ne pouvait pas faire n'importe quoi quand il y avait des espèces protégées sur un site sur lequel on déclinait un projet de développement”, décrypte celui qui était surnommé “le doyen vert” à la fac de droit de Nantes.
“À partir de là, s’est produit au niveau [des] États, l’idée qu’on ne pouvait pas faire n’importe quoi quand il y avait des espèces protégées.”
Raphaël Romi
Des avancées environnementales certes, mais également un possible frein au développement économique. Une évidence s’est dès lors imposée: il fallait autoriser des dérogations.
C’est pour répondre à cette problématique que l’IROPI (Imperative reasons of overriding public interest) a été créée en 1992. Elle prévoit qu’un projet peut être exceptionnellement validé, sous certaines conditions, même s’il porte atteinte à un site Natura 2000. La RIIPM, sa déclinaison en droit français, a vu le jour en 2006.
Une RIIPM ne veut toutefois pas dire qu’un chantier sera forcément validé. Cette notion, qui “n’a pas de définition légale” comme le souligne l’ancien agent du ministère de l’Environnement, est “l’une des trois conditions à remplir” pour être autorisé à déroger aux “interdictions de destruction d'espèces protégées et de leurs écosystèmes”. Pour obtenir cette dispense de la part des préfectures, les porteurs de projet doivent également prouver qu’il n’existe aucune solution alternative satisfaisante et que leur chantier ne nuit pas à un état de conservation favorable des espèces concernées sur leur territoire de répartition. “C'est-à-dire pas uniquement dans le petit périmètre sur lequel porte le projet, mais dans une zone un peu plus englobante, régionale ou départementale où des espèces peuvent être identifiées.”
© Harmony Bordelongue
Les RIIPM sont donc constatées au cas par cas. Un principe généralement vu comme plus juste, qui est pourtant loin de faire l’unanimité. Car la réflexion sur l’utilité des projets repose sur une notion centrale aux contours pourtant flous: l’intérêt général. “À l'évidence, le plus grand conflit qui apparaît régulièrement, c'est l'intérêt général entendu sous l'angle économique, contre celui entendu sous l'angle écologique”, analyse Lionel Bosc, maître de conférences en droit privé à l’université Toulouse Capitole.
“À l’évidence, le plus grand conflit qui apparaît régulièrement, c’est l’intérêt général entendu sous l’angle économique, contre celui entendu sous l’angle écologique.”
Lionel Bosc
L’enjeu est de faire la balance entre les intérêts des projets soumis à validation, et leur impact sur l’environnement. La RIIPM a par exemple été invoquée pour justifier des chantiers visant à fluidifier le trafic routier ou à moderniser des infrastructures vieillissantes. En attestent les projets de l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes (Loire-Atlantique), de la ligne à grande vitesse Lyon-Turin ou encore de l’extension du port de Calais (Pas-de-Calais). Dans ces trois exemples comme dans le cas de l’A69, la question est de déterminer si l’utilité de ces chantiers est un impératif tel qu’il justifie une dérogation à la protection environnementale.
Maîtresse de conférences en géographie à l’université Toulouse Jean Jaurès, Léa Sébastien a longuement étudié les controverses à propos de projets d’aménagement qualifiés de Grands projets inutiles imposés Expression employée depuis les années 2010 par des militants écologistes pour désigner des projets qui, selon eux, ne présentent aucun intérêt, voire sont contre-productifs, pour l’environnement et la société civile., dans lesquels l’attribution de la RIIPM est souvent mise en débat. Elle dénonce un dialogue biaisé: “On voit à chaque fois que l'État, sans concertation, sans décider vraiment du fond, c'est-à-dire de comment on peut définir l'intérêt général aujourd'hui ou de qui est légitime pour le définir, garde sa mainmise, analyse la chercheuse au laboratoire CNRS Geode. Mais comment est-il décidé que tel projet répond à l'intérêt général et que tel projet non? Ça manque vraiment de transparence.”
Créer des corridors écologiques pour la faune impactée, reboiser la surface détruite, restaurer les zones humides… La RIIPM n’est pas non plus un passe-droit inconditionnel à la destruction de l’environnement. Pour que celle-ci soit validée, il est exigé que les chantiers mettent en place des mesures compensatoires. “Mais la compensation écologique, c'est quelque chose d'assez artificiel, nuance Raphaël Romi. Vous avez un arbre de 100 ans, et vous mettez un cerisier qui n'a pas la même valeur biologique qui va mettre 20 ou 30 ans à produire autant que ce qui a été détruit.”
“La compensation écologique, c’est quelque chose d’assez artificiel.”
Raphaël Romi
Autre point noir au tableau: les outils de surveillance et d’évaluation de l’efficacité et de la cohérence de ces mesures compensatoires ne relèvent pas d’un acteur neutre. “Les études d'impact sont financées par les porteurs de projet eux-mêmes, donc ça induit déjà un biais, souligne Léa Sébastien. Ces études comportent souvent des erreurs et des oublis.” Pour tenter d’y remédier, “de nombreux collectifs font des relevés et des mesures de biodiversité. Ils demandent aussi l’avis de l'autorité environnementale et du Conseil national de la protection de la nature sauf que ces deux autorités sont débordées et ont très peu de moyens”. Des avis qui ne sont, en outre, que consultatifs.
Malgré les atteintes environnementales qu’elle génère, la RIIPM peut tout de même faciliter certains chantiers dans une stratégie de transition énergétique. Des projets de parcs éoliens ou de panneaux photovoltaïques ainsi que des mines de lithium peuvent par exemple être autorisés. Des installations qui s’inscrivent dans une démarche de transition écologique et énergétique et dont l’utilité et l’enjeu sur le long terme sont considérés prévaloir sur l’atteinte à la biodiversité et aux écosystèmes qu’ils induisent.
Mais ce raisonnement reste rarement suffisant pour convaincre les populations locales, directement impactées. “On a le choix entre faire un chantier qui pourrait créer des emplois et préserver une forêt qui implique une pratique culturelle locale de la chasse ou de la pêche, ou qui a évidemment un apport en biodiversité très spécifique, éclaire Lionel Bosc, qui a dédié sa thèse à ce sujet. L'une et l'autre sont des représentations de l'intérêt général. La question, c'est sur quelle échelle de temps c'est articulé.”
© Esther Dabert
D’autant plus qu’il n’existe pas de définition unique de l’intérêt général en matière de stratégie de décarbonation. “La transition écologique, c'est aussi la sobriété, par exemple”, rappelle Léa Sébastien qui déplore le manque de sollicitation des habitants dans la prise de décision. “Les citoyens veulent souvent participer à l'équipement de leur territoire et récupérer une autonomie alimentaire et énergétique, mais pas de cette manière-là, sans concertation.”
Si le dispositif présente certes des imperfections, Raphaël Romi y voit toutefois un premier pas encourageant dans la nécessaire prise de conscience de l’urgence climatique. “La RIIPM n’est pas un recul. C’est une avancée majeure en termes culturels et philosophiques, avance le cofondateur des Écologistes. C’est la notion selon laquelle on arrête de détruire la biodiversité quand ce n’est pas utile, quand il n’y a pas un intérêt public majeur.” Un progrès qui se double d’une mise en garde: que cet outil ne soit pas entre les mains d’une autorité qui en définirait elle-même les contours, sans personne pour la contrôler.
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