Une rupture écologique ?

Data centers Marseille

En un an, le MSR3 (au premier plan) consomme autant d’électricité qu’une ville de 50 000 habitants.

© Anna-May Lohfeld (collage) et Pauline Moyer (photo)

Marseille : data centers sous hot tension

Avec l’arrivée de 17 câbles sous-marins et la multiplication des data centers, Marseille est devenu en dix ans le sixième hub numérique mondial. Face au développement exponentiel de ces infrastructures énergivores, de nouvelles mobilisations se mettent en place.

Texte et vidéo : 

Camille Carvalho et Pauline Moyer

“Je ne veux pas que vous soyez prioritaire sur nous, que ce soit pour l’eau ou l’électricité.” “Ce projet, même s’il peut être utile, n’est pas au bon endroit.” Le 10 décembre 2025, les voix des habitants s’élèvent dans la salle de la mairie des Pennes-Mirabeau dans la banlieue nord de Marseille. Trois heures durant, plus d’une centaine de personnes – riverains, résidents des communes alentour et représentants de l’entreprise TelehouseFiliale de KDDI, c’est une entreprise japonaise de télécommunications spécialisée dans les data centers et installée en France depuis 1996. – débattent pour la seconde réunion publique relative au futur data center Cézanne. Cette rencontre vient clore le débat public avant que les autorités ne se prononcent sur l’autorisation du chantier, dont la construction devrait durer deux ans. L’atmosphère est électrique: le public s'agace, souffle, s’impatiente et s’emporte. Trois policiers sont postés au pas de la porte, prêts à intervenir en cas de dérapage.

Devant l’assemblée, Sami Slim, directeur général de Telehouse France, déroule sereinement ses arguments. “Ce projet va permettre de nourrir 600 familles.” “Et déranger les autres!”, réplique aussitôt une voix au fond de la salle. Beaucoup de riverains sont sceptiques. “Je n’ai rien contre personne, mais je veux des garanties. La pollution, on en a déjà, le bruit aussi”, s’inquiète Christine Muscat, présidente du comité d’intérêt de quartier (CIQAssociations rattachées à des quartiers de l'agglomération marseillaise, les CIQ ont pour objectif la défense et la promotion du quartier et de ses habitants. Dans les Bouches-du-Rhône, on en compte 262.) des Pallières. L’homme à la cravate n’est pas déstabilisé: “S’il y a des data centers, c’est que quelqu’un a allumé son téléphone. L'infrastructure n’est qu’une conséquence de l’usage.”

Cézanne n’est qu’un maillon d’une chaîne plus vaste. Depuis 2015, douze data centers ont été implantés dans Marseille et sa périphérie, trois autres sont en construction. L’agglomération phocéenne est devenue un hub stratégique du numérique, favorisé par la présence de 17 câbles sous-marins reliant la France à 33 pays en Europe, Afrique et Asie. Cette multiplication s’inscrit également dans une stratégie nationale plus large. Lors du sommet de l’intelligence artificielle (IA) à Paris en février 2025, le gouvernement a annoncé 109 milliards d’euros d’investissements en faveur de l’IA.

Marseille, 6e hub numérique mondial

Carte des data centers de Marseille

© Lilia Antheaume

Face à ces financements massifs, les inquiétudes des riverains montent et les oppositions prennent forme. “Les premiers data centers ne nous ont pas trop inquiétés. Mais avec l’arrivée du MRS5Il s’agit du cinquième projet mené par l’entreprise américaine Digital Realty sur le territoire marseillais., on a lu l’enquête publique et on a été alertés par la forte consommation d’électricité”, raconte Patrick Robert, président du CIQ de l’Estaque, dans le 16e arrondissement de Marseille.

Quand ce Parisien d’origine a emménagé dans le Sud pour sa retraite, il y a huit ans, il ne s'était jamais intéressé aux infrastructures du numérique. Aujourd’hui, à force de se renseigner, il les connaît toutes. En haut de la rue Andrée-Chamson, dans le 3e arrondissement, se trouve un bâtiment noir et blanc, dont l’architecture se confond avec celle des habitations mitoyennes. Il s’agit du data center de l’entreprise française Phocea DC. Selon leur site, ce bâtiment à “taille humaine” s’étend sur 1 700 m2. “De l’extérieur, on ne sait pas que c’est un data center. Il est bien intégré dans le quartier”, constate Patrick Robert.

Sur les hauteurs du Grand port maritime, à l’autre bout de la ville, on joue dans une tout autre catégorie. Ici, en pleine zone industrielle, s’entassent trois mastodontes, propriétés de Digital Realty. “Le problème, explique Patrick Robert, c’est que leur électricité, ils vont la chercher chez nous, dans notre quartier. À Marseille, on n’a plus d'électricité. On est obligés d’aller la chercher ailleurs.” L’ensemble des data centers marseillais engloutissent 300 mégawatts par an. À lui seul, le MRS3 consomme autant d’électricité qu’une ville de 50 000 habitants en un an.

Le développement exponentiel des data centers en France

Consommation électrique des data centers en 2023 et en 2035

© Juan Bourgier

À l’entrée de l'autoroute A55 qui longe le port, un bloc de béton gris s'impose dans le paysage. À gauche de l’édifice se trouve un grillage: l’entrée de la Galerie de la mer. “Ici, c’est la station de pompage de Digital Realty. Il y a 14 km de tuyaux”, explique Arlette Vidal. L’ancienne proviseure à la retraite s’intéresse aux enjeux environnementaux, en particulier à la préservation de l’eau à travers le collectif marseillais des Gammares. “À l’origine, ce tunnel permettait d’évacuer dans la mer les eaux rejetées par les mines de charbon. Aujourd’hui, un deuxième raccordement existe pour récupérer l’eau de ruissellement du massif de l’Étoile. Cette eau potable est considérée comme une réserve potentielle en cas de pénurie. Pourtant, c’est là que Digital Realty se sert pour refroidir une partie de ses data centers.”

La dynamique marseillaise s’étend en périphérie, en particulier à Bouc-Bel-Air, au sud d’Aix-en-Provence. L’annonce du méga projet du MRS6Un nouveau projet bien plus grand que les précédents : alors que le MRS5 s’étend sur 12 000 m2, le MRS6 avoisinera 20 000 m2., là aussi, par Digital Realty, a d’abord suscité une opposition massive. Près de 2 000 personnes ont signé la pétition lancée par les associations de protection de l’environnement. Mais au fil des enquêtes publiques, les mobilisations se sont essoufflées.

Début novembre 2025, le conseil municipal à majorité Les Républicains a rendu un avis favorable au projet. Une décision qui cache des positions contrastées au sein de la commune. Initialement opposée à l’implantation, l’association Bouc-Bel-Air environnement a retourné sa veste. “On peut être contre les data centers par principe, mais on peut aussi être pragmatique et se plonger dans le dossier de l’enquête publique. Si le data center ne se construit pas ici, ce sera à côté”, se justifie Claude Calvet, membre de l’association et engagé dans les questions environnementales depuis une cinquantaine d’années.

“Trop beau pour être vrai”

Ce type de raisonnement dessine un rapport de force déséquilibré. Comment faire face à des entreprises qui sur le papier respectent les normes établies par l’État ? Quel poids peuvent avoir les riverains face à de tels projets ? Des interrogations qui se heurtent au principe de réalité: “Le MRS6 va être créé dans un ancien pôle de transport logistique. Si on ne met pas de data center, on reviendra à l'utilisation d’origine, c'est-à-dire plus de nuisances”, explique Jean-Marc Blanco, président de l’association. Et, grâce à la taxe foncière récoltée à l’installation du projet, “on pourra construire des pistes cyclables”, ironise Claude Calvet.

Hervé Plisson, secrétaire de l’association Bouc-Bel-Air pour tous et tête de liste écologiste Le Printemps boucain pour les élections municipales de 2026, s’interroge sur ce projet “trop beau pour être vrai”. “Si tout marche bien, on ne pollue pas, très bien. Mais si ça ne marche pas, qu’est-ce qui se passe ?” Avec son association, il ne se satisfait pas du discours de Digital Realty. Que ce soit à propos de la chaleur produite par l’infrastructure ou des nuisances sonores, il cherche des réponses claires. Pour cela, chaque élément du projet est passé au crible, pour en révéler les angles morts. “Au moins, on ne pourra pas dire qu’on n’a pas posé la question”, soutient-il.

C’est aussi le travail que mène France nature environnement Bouches-du-Rhône sur des aspects légaux. Stéphane Coppey et ses collègues aident les associations à débusquer les failles juridiques de ces projets. Seulement, “le problème, c’est que le président de la République considère que le développement de ce secteur est une chance, un bonheur. On se retrouve face à un cadre légal qui facilite la mise en place des data centers.”

Nuisance invisible

Les réticences des citoyens ne font pas le poids face à une priorité nationale. “À un moment donné, il faut que ça émane des citoyens, insiste Stéphane Coppey, mais les gens ne descendent pas dans la rue pour des data centers. La nuisance est invisible. Il n’y a pas de fumée ni d’odeur.” Faire durer une mobilisation est difficile. La prise de conscience n’en est qu’à ses débuts. Des groupes militants commencent à apparaître, à l’instar du collectif Le nuage était sous nos pieds. En un an, ses membres ont réussi à faire émerger une nouvelle réflexion en menant une attaque frontale contre les data centers. “Au départ, je n’y connaissais rien”, explique Antoine Devillet, l’un des trois fondateurs. “Je n'avais pas compris à quel point le numérique était un enjeu central ici.”

C’est auprès du collectif des Gammares, qui cherche à préserver le ruisseau marseillais Caravelle-Aygalades, qu’Antoine Devillet a découvert l’existence des data centers. Le ruisseau en question est détourné par Digital Realty pour refroidir ses infrastructures. Lorsqu’il l’apprend, il initie le collectif Le nuage était sous nos pieds avec d’autres militants, issus notamment de la Quadrature du netAssociation militante du numérique engagée sur les sujets des libertés informatiques et de la surveillance numérique de masse.. Leur objectif est d’enquêter sur les enjeux autour de ces industries. Au bout d’un an de recherche, en novembre 2024, le collectif met en lumière des fuites de gaz fluorésGaz à effet de serre présents dans beaucoup d’objets du quotidien (réfrigérateurs, climatiseurs…) et utilisés dans l’industrie pour réguler la température. en provenance du MRS3. Rapidement, il est sollicité par les journalistes pour prendre la parole. “On a dû se former très rapidement pour pouvoir répondre”, partage le militant.

Pas facile pourtant de se faire entendre du grand public. “Il y a parfois une résistance qui est normale, le mythe du progrès est très enraciné et c’est une idée compliquée à déconstruire, réalise Antoine Devillet. Sachant que pour l’instant, les data centers sont considérés comme un point d'intérêt général, dès qu’il y a une mobilisation locale, ils s’en foutent. On a tout intérêt à se mettre ensemble.”

Malgré les mobilisations, la machine est enclenchée. En février 2025, 35 sites ont été identifiés en France pour accueillir ces installations. Les projets de data centers ont de beaux jours devant eux.

Quelques data sur les centers

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