Manifestation rassemblant chasseurs et écologistes pour une même cause à Loulle (Jura).
© Association Je suis sensible – CCR
Pour une fois, chasseurs et écolos sortent du bois
Dans le Jura, 122 hectares de forêt ont failli finir rasés pour installer un champ de panneaux solaires. Grâce à une mobilisation unique unissant chasseurs, militants écolos, naturalistes et agriculteurs, ce bois a été épargné en 2024.
Texte :
Arthur Besnard
Comme chaque semaine, Marc Bourdon part à la chasse avec ses deux chiens. Dans la forêt qui s’étale sur les communes de Loulle et de Mont-sur-Monnet dans le Jura, il traque la bécasse depuis plus de vingt ans. D’un pas cadencé, le sexagénaire présente les habitants de chaque buisson comme s’ils étaient ses voisins de palier: “Je connais mieux la forêt que mon salon”, confie-t-il. Là, il sait qu’un lièvre et sa hase ont niché. Plus loin, il montre une mare où se reproduisent les crapauds sonneurs, une loge de pics noirs ou une rarissime niche de gélinotte. Tous ceux-là ont failli être délogés au profit d’un champ de panneaux photovoltaïques en 2022. Au loin, Marc désigne deux arbres bien éloignés l’un de l’autre: “Tchak, tout ça coupé !” La structure aurait dû recouvrir 122 hectares de forêt à son apogée, soit plus de 150 terrains de football.
La forêt était considérée “improductive” par l’entreprise Cévennes Energy Entreprise héraultaise spécialisée dans les énergies renouvelables, elle est affiliée à la holding suisse JC Mont-Fort via sa filiale Orsana. L’entreprise impulse encore des projets similaires dans le Jura, sur la commune de Pimorin. porteuse du projet. Marc ne se gêne pas pour le faire remarquer en montrant le bois qui longe la route: “Moi, je vois pas de la broussaille là.” Il y a bien des arbres malades, mais en suivant Marc et ses chiens, on découvre un bois qui change d’aspect dès qu’on traverse un buisson. Des résineux, feuillus et prairies sèches, qui reposent sur un matelas de quelques mètres de terre tout au plus. En dessous: un sous-sol calcaire typiquement jurassien qui infiltre l’eau dans une flopée de sources en contrebas. Marc s’en émerveille encore, vantant la résilience de ces arbres: “Il y a des petits chênes ici qui ont plus de 100 ans, ils sont capables de pousser dans le sec avec très peu d’humus.”
Marc Bourdon connaît la forêt de Loulle (Jura) comme sa poche.
© Arthur Besnard
Chasseur et lanceur d’alerte
Lorsque Marc est informé du projet en 2022, il est surpris par l’opposition unanime de ses camarades de chasse. Instituteur retraité, militant anarchiste “Docs serrées, poings serrés” dans sa jeunesse, il est affectueusement surnommé “le dernier chasseur-cueilleur du Jura” par ses camarades de lutte. Si sa sensibilité écolo ne date pas d’hier, les chasseurs qui l’entourent gravitent selon lui “de la gauche de la gauche à la droite extrême”. Il prend contact avec Anthony Fleuriot, un collègue et ami avec lequel il enseignait à Champagnole, en bas de la vallée. Ce dernier mobilise le collectif citoyens résistants (CCR), fondé en 2013 contre l’installation d’un hypermarché Leclerc sur des terres agricoles de Champagnole. Très tôt, le groupe invite les opposants à se rendre à une première réunion publique organisée en mai 2022 par la mairie de Mont-sur-Monnet. C’est une des rares fois où ils ont échangé avec un représentant de Cévennes Energy. Il a été “retourné de questions”, raconte fièrement Anthony.
Réunion finie, les opposants bien remontés se retrouvent chez un chasseur de Mont-sur-Monnet. Autour de quelques verres, une alliance singulière entre agriculteurs, amateurs de gros et petit gibier, enseignants et militants écologistes se forme. Frédérique Fouillet, membre du CCR, enseignante syndiquée et habituée des luttes écologistes, se souvient “d’un croisement de classes sociales, et de gens qui ne seraient pas d’accord sur d’autres sujets”. L’assemblée se découvre une cause commune: “Cette forêt, vous n’y toucherez pas.”
Contre-expertise populaire
Très tôt, les opposants parlent de manifestation. Car en face, un bureau d’étude missionné par Cévennes Energy se charge déjà de lister quelques zones sensibles de la forêt, prétendant les épargner. Mares et prairies sèches auraient du être clôturées au milieu des panneaux, mais privées de l’eau que leur amène la forêt. Dès août 2022, une première manifestation invite déjà à “répondre à l’appel de la forêt”. Chasseurs et naturalistes s’attachent à faire visiter le bois aux soutiens venus de loin, mais aussi aux riverains. “Beaucoup n’y mettaient jamais les pieds”, explique Marc avec regrets.
Le naturaliste Vincent Dams apprécie la diversité de la forêt de Mont-sur-Monnet (Jura).
© Arthur Besnard
Pour Vincent Dams, naturaliste salarié de France nature environnement à Lons-le-Saunier, il fallait une contre-expertise pour alerter sur la richesse de la zone. Pour préparer l'événement, les naturalistes suivent les chasseurs en répertoriant les lieux stratégiques, que ces derniers connaissent par cœur. Les traqueurs de gibier sont souvent bien plus au courant des évolutions des habitants de ce milieu, selon Vincent: “Quand tu y vis pendant dix ou quinze ans, t’as moyen de voir plus de trucs qu’avec une étude d’impact.” Les hommes en orange savent parfois débusquer certaines espèces protégées pourtant très discrètes. “Sans chiens, pas moyen de voir une bécasse”, attestent les deux hommes. Au passage, les chasseurs découvrent eux aussi des végétaux ou des grottes à chauve-souris qui leur étaient auparavant inconnues. Cette balade est surtout l’occasion d’inciter la population à participer à l’enquête publique. En plus, les militants tractent sur les marchés des villages. Mieux, ils s’arment d’une vieille décapotable et d’une trompette pour scander leur appel à la population dans le bourg de Champagnole. Verdict: 50 avis positifs, 250 avis contre. Stéphane*Le prénom a été modifié. , agriculteur à Loulle, avait échangé avec l’un des commissaires enquêteurs, âgé de 75 ans: “Il m’a dit qu’il n’avait donné qu’un seul avis défavorable dans sa vie.” Le deuxième est destiné à la centrale photovoltaïque, un projet “ni cohérent, ni raisonnable” selon eux.
Quasiment toutes les institutions consultées avaient d’ailleurs donné un avis négatif à la préfecture, comme l’Office national des forêts et la direction départementale des territoires. Deux ans et trois manifs plus tard, le projet est finalement retoqué par la préfecture en décembre 2024. Et après plusieurs recours infructueux de Cévennes Energy, la centrale photovoltaïque est définitivement enterrée en octobre 2025.
“Dans le bois, le maire m’a attrapé par les épaules en me disant ‘fous-moi le camp d’ici !’”
Marc Bourdon
Mobilisation populaire, leur lutte a réussi à agréger des gens très différents en son sein. Non sans mal, selon Frédérique: “Ça n'était pas le joyeux village qui se soulève comme un seul homme.” Si le mouvement comptait beaucoup d’appuis dans la région, le noyau local n’était composé que d’une dizaine de personnes à Loulle, et seulement deux à Mont-sur-Monnet. Marc dépeint un climat de tension important: “Dans le bois, le maire m’a attrapé par les épaules en me disant ‘fous-moi le camp d’ici !’ ” D’ailleurs, Frédérique comme Marc racontent avoir eu peur qu’on s’en prenne à leur chien, leur cheval, leurs pneus de voiture… “Dans le village, t’y penses forcément”, précise la première. Le sujet était même devenu tabou parmi les 173 habitants de Loulle, retrace Stéphane: “À la fête du village, les gens n’osaient pas discuter avec les opposants. Il y avait vraiment une ambiance de merde!”
Nouvelles têtes, nouvelles méthodes
Au fil des mois, le réseau du CCR rallie au mouvement des profils plus militants, jeunes et féminins. Parmi elles, Anaïs Cognet, membre des Naturalistes des terresAffiliés aux Soulèvements de la Terre, ces naturalistes, juristes et militants répertorient les espèces protégées présentes sur le site de grands projets contestés., qui a eu vent de la mobilisation par son père. Amusée, elle évoque une rencontre entre “des jeunes de 20 ans venus des milieux un peu woke” et les locaux, pas tous habitués aux espaces militants. Garance Clerc, productrice de plantes aromatiques à Loulle, voisine de la forêt et syndiquée à la Confédération paysanne, en faisait aussi partie. Elle sourit en repensant à certaines réactions: “J’ai vu des copines faire des yeux énormes devant certaines blagues, ou quand ça se coupait la parole.” Pour Frédérique, il leur a quand même fallu rembarrer les “sexagénaires un peu passés à travers MeToo” et leurs “blagues à papa”, quitte à essuyer des insultes.
Garance Clerc cultive des plantes aromatiques à Loulle (Jura) tout près de la forêt.
© Arthur Besnard
Nouvelle à Loulle, Garance a mis du temps à oser proposer des tours de parole ou des ordres du jours plus précis, par crainte de “passer pour la chiante”. “On s’est dit : on n’impose pas, c’est pas notre commune”, précise Anaïs, qui a tenu à suggérer ces méthodes avec diplomatie. Pour Frédérique, “certains s’écoutaient un peu parler” au début, mais la discussion a fini par sortir du “bordel” initial. Ce renouveau a conduit quelques chasseurs et opposants de la première heure au retrait, par gêne de la contradiction et de l’affiliation à une tendance écologiste. Un “écrémage” que Frédérique ne regrette pas.
Amitié, respect, lutte de proximité
Pour Rémy Bosne, agriculteur retraité à Mont-sur-Monnet, cette mobilisation a été la première de sa vie. Invité aux réunions par son fils, chasseur de bécasse, il a fini par vaincre sa crainte d’être mal vu dans le village. Si lui ne se revendique pas écolo, il se décrit volontiers en “défenseur de la forêt”. Très fier, il raconte la manifestation de 2024, où il avait orné son tracteur d’une pancarte: “Les panneaux sur les toits, pas dans les bois”. Beaucoup des naturalistes, chasseurs ou agris avec qui il a lutté, auparavant inconnus, sont devenus “de vrais copains”. Si c’était à refaire ? Plus question de craindre le qu’en dira-t-on du voisinage, Rémy y retournerait sans hésiter, au besoin en occupant les lieux.
“Est-ce que je suis écolo ? J’ai réfléchi, je le suis peut-être un peu devenu.”
Stéphane
Selon Anthony Fleuriot, la réussite de ce melting-pot était aussi liée à son image auprès des locaux. Avec une deuxième manifestation à quelques mois de la mobilisation de Sainte-Soline en 2023Manifestation contre l’installation d’une méga-bassine de stockage d’eau dans les Deux-Sèvres. Elle a été le théâtre d’affrontements entre manifestants et forces de l’ordre., il fallait à tout prix éviter l’étiquette d'écoterroriste: “On n’avait pas intérêt au débordement. Ici c’est un pays de droite, on n’est pas au Larzac.” Frédérique, elle, espère avoir semé quelques graines chez ceux qui ne “votent pas encore” pour le RN dans le coin. Pour Stéphane, son petit investissement dans la lutte lui a permis de briser quelques barrières mentales. “Est-ce que je suis écolo ? J’ai réfléchi, je le suis peut-être un peu devenu”, confie-t-il. Éleveur laitier en filière comté, il a abandonné ses clichés sur les “écolos bobos déconnectés”, comme sur les chasseurs ou les profs. Désormais, il “doit le respect” à Marc, son voisin de longue date: “C’est un peu grâce à lui, cette victoire.” Pour le bécassier, c’est plutôt la diversité du collectif qui a permis de gagner, en plus des liens tissés en chemin. “Il fallait qu’on fasse peur, lâche-t-il. À trois bouseux jurassiens ou trois clampins écolos, ça n’aurait pas fait peur!”
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