Une rupture écologique ?

Ceci est une illustration représentant la manifestation contre Lafarge le 10 décembre 2023

Le 10 décembre 2023, des activistes ciblent une usine du cimentier Lafarge.

© Elise Ziller

Un "saboteur" dans les griffes de l'antiterrorisme

Soupçonné d’avoir participé à une action visant une centrale de Lafarge, Jérôme a passé 82 heures en garde à vue à la sous-direction antiterroriste avant d’être blanchi par la justice. Il reste traumatisé par cette confrontation à la machine judiciaire.

Texte : 

Mahault de Fontainieu

Journée contre le béton

10 décembre 2023. Une centaine de personnes en combinaison blanche s’introduisent au sein de la centrale à béton Lafarge-Holcim de Val-de-Reuil (Eure). Une action de “désarmement” menée dans le cadre de quatre journées de mobilisation contre l’industrie du béton, portée par 200 associations dont les Soulèvements de la Terre et Extinction Rebellion. À l'aide de bombes de mousse expansive, les activistes mettent hors d’état de fonctionner les machines, pendant que d’autres taguent les murs blancs de l’usine. À travers la fumée rouge des fumigènes, on entrevoit le site recouvert de slogans dénonçant l’impact de l’industrie du béton sur l’environnement et les soupçons de financement du terrorisme qui pèsent sur le cimentier Lafarge est soupçonné d’avoir versé de l’argent à des groupes djihadistes en Syrie entre 2012 et 2014. Le 16 décembre 2025, les principaux dirigeants du groupe comparaissent devant le tribunal correctionnel de Paris pour financement du terrorisme. À l’audience, le parquet national antiterroriste requiert des peines comprises entre 18 mois et 8 ans de prison contre les huit anciens responsables de l'entreprise et une amende de 1,125 million d’euros contre le cimentier..

En dix minutes à peine, l’action est terminée. La police disperse les militants qui trouvent refuge dans la forêt de Bord, adjacente. Selon l’entreprise, le coût des dégradations s’élève à plus de 450 000 euros. Une enquête est ouverte pour retrouver les suspects. Rémi Courtin, procureur d’Évreux, saisit la sous-direction antiterroriste (Sdat) au côté de la police judiciaire de Rouen.

Perquisition au petit matin

8 avril 2024. Le soleil est à peine levé sur le paysage normand quand des voitures se garent aux abords du terrain de Jérôme Le prénom a été modifié.. “Ils étaient une vingtaine. Ils sont entrés et ont pointé leurs armes sur moi. J’étais nu quand ils m’ont menotté au sol”, se souvient le trentenaire. Sur place, les policiers mettent sous scellés son téléphone et sa brosse à dents. Jérôme est transféré au siège de la Sdat à Levallois-Perret (Hauts-de-Seine) où il est placé en garde à vue pendant 82 heures. Il ne le sait pas encore, mais 17 autres personnes sont arrêtées ce matin-là.

“Être perquisitionné chez soi par la Sdat et pointé par des armes, c’est surréaliste. J’avais l’impression qu’on me prenait pour un écoterroriste.”

Jérôme, militant arrêté par la Sdat

Au quatrième sous-sol du bâtiment de la Sdat, Jérôme est enfermé dans une pièce de 6 m2, filmé 24 heures sur 24. Ce qui le marque sur le coup, c’est le silence et l’isolement: “Tout était fait pour que je ne voie personne à part les agents qui m’interrogeaient.” Le “militant pour la justice sociale et environnementale” peine à réaliser: “Être perquisitionné chez soi par la Sdat et pointé par des armes, c’est surréaliste. J’avais l’impression qu’on me prenait pour un écoterroriste.”

Ce terme est apparu dans le débat public en 2022. Au sortir des affrontements de Sainte-Soline, Gérald Darmanin, alors ministre de l'Intérieur, emploie l’expression pour incriminer les Soulèvements de la Terre et demander leur dissolution. Pour autant, elle n’a pas d’existence légale. Ce qu’a tenu à rappeler le procureur d’Évreux en charge de l’affaire, Rémi Courtin: “Dès la première audience, j’ai écarté tout rapprochement entre l’action menée par ces militants et le terrorisme, comme certains aimeraient le faire.” Lui-même sensible aux enjeux climatiques, le magistrat justifie son choix controversé de faire appel à la Sdat: “Il fallait un service de compétence nationale pour enquêter sur une centaine de personnes, organisées en commando, qui ont commis des dégradations.”

Un argumentaire qui ne convainc pas l’avocate de Jérôme, Me Aïnoha Pascual: “Les services de renseignement calquent un imaginaire militaire et hiérarchique sur ces mouvements de contestation écologistes.” Selon elle, l’utilisation de la Sdat, même dérogatoire, est disproportionnée. “Si on avait convoqué mes clients au commissariat, ils se seraient présentés à l’heure après être allés acheter leurs carottes à l’Amap”, ironise-t-elle. Elle y voit également un choix stratégique. Présente aux côtés des Soulèvements de la Terre devant le Conseil d’État, l’avocate qualifie le procédé de “répression politique”. Une analyse partagée par Pablo Corroyer, chercheur en science politique à l’université de Lille, spécialisé dans la sociologie de la répression de l’action collective et de l’encadrement des mobilisations. “C’est une manière de discréditer les mouvements et ça permet de rendre plus acceptable l’usage plus fort de la répression”, estime l’universitaire.

Interrogatoire épuisant

Une fois par jour, Jérôme est sorti de sa cellule, menotté, palpé, interrogé, puis remis en cellule. Un schéma qui se répète quatre jours durant. Lui ne flanche pas: “Je garde le silence. Remettez-vous-en à mon avocate.” Après coup, il analyse: “Ils cherchent à te faire reconnaître les chefs d’inculpation. Ils veulent des informations pour ensuite faire des déductions.” Parfois, les agents entrent dans sa cellule pour lui faire signer des papiers. “En passant, ils me disaient: ‘avouez, ne gâchez pas votre vie’ .” On l'avertit des peines encourues. Association de malfaiteurs: 10 ans d’emprisonnement et 150 000 euros d’amende; dégradation en réunion: 2 ans et 30 000 euros d’amende; refus de donner son ADN: 1 an et 15 000 euros d’amende... “Ça met dans un état psychologique très particulier. On a l’impression d’être totalement sorti de l’État de droit”, avoue Jérôme.

Cette photo représente Aïnoha Pascual, avocate de Jérôme et des Soluèvement de la Terre durant leur audience au conseil d'Etat.

Aïnoha Pascual est l’avocate qui a défendu Jérôme. 

© Mahault de Fontainieu

Des incriminations “disproportionnées” selon Me Aïnoha Pascual, qui prend pour exemple l’association de malfaiteurs: “Rien de convaincant ne prouvait que mes clients avaient participé à cette action.” Pensée pour réprimer la préparation collective d’infractions graves sans les avoir nécessairement commises, cette qualification est surtout employée dans la lutte contre la criminalité organisée. “Ces dernières années, notamment après les Gilets jaunes, elle est beaucoup plus utilisée contre des militants écologistes en France”, constate Pablo Corroyer.

Au cours de ses observations, le chercheur remarque un élargissement du spectre des motifs d’incrimination visant les activistes écologistes. “C’est ce qui s’est passé en 2021 avec la loi sur le séparatisme”, également qualifiée de loi “anti-black bloc”. Elle a étendu la procédure de dissolution de groupes “provoquant des agissements violents contre les personnes”, à ceux s'attaquant aux biens. Une évolution qui a permis d'entamer la procédure de dissolution des Soulèvements de la Terre. “Autrefois, détruire un avion pour le rendre inutilisable parce qu’il pouvait larguer des bombes était perçu comme une action pacifiste”, commente Pablo Corroyer. “Aujourd’hui, il est illégal d’outrepasser le droit lorsqu’il s’agit d’empêcher la coupe d’un arbre bicentenaire”, renchérit Julien Lagoutte, maître de conférences spécialisé en droit pénal de l'environnement à l’université de Bordeaux.

Les Nations unies dénoncent également cette tendance. Dans un rapport publié en février 2024, Michel Forst pointe que “la répression que subissent actuellement en Europe les militants environnementaux qui ont recours à des actions pacifiques de désobéissance civile constitue une menace majeure pour la démocratie et les droits humains”. Dans ce document, la France est citée à plusieurs reprises pour le durcissement de la répression et des méthodes de surveillance à l’encontre des activistes.

“La répression ne se voit pas dans les peines mais dans les procédures appliquées en amont.”

Julien Lagoutte, maître de conférences à l’université de Bordeaux

“Le pays qui réprime le plus, c’est l’Angleterre, la France arrive juste après”, précise Julien Lagoutte. Ces trois dernières années, la justice britannique a condamné des dizaines de militants à des peines de prison ferme. En France, Rachel Simon, militante du collectif Dernière Rénovation, a été condamnée, le 5 novembre 2025, à six mois de prison ferme pour avoir aspergé l’hôtel de Matignon de peinture à l’eau.

Relaxe et incompréhension

18 décembre 2024. Neuf des 17 “saboteurs de Lafarge”, comme on les appelle, comparaissent devant le tribunal correctionnel d'Évreux notamment pour association de malfaiteurs. Partie civile, Lafarge-Holcim réclame 278 000 euros d’indemnités. “J’ai été surpris par le procureur”, se remémore Jérôme. Dans ses réquisitions, le représentant du ministère public demande une peine symbolique de six à dix mois de prison avec sursis. “Je considère la cause défendue par les prévenus légitime. Mais leur action outrepasse les limites de la loi”, explique-t-il.

À l’issue du délibéré, quatre militants sont condamnés à six mois de prison avec sursis. Les cinq autres, dont Jérôme, sont relaxés. Ce dernier est soulagé: “J’avais l’impression de sortir d’une dystopie.” Cela n’efface cependant pas le traumatisme provoqué par l’arrestation. “J’ai ressenti une grosse incompréhension face à ce discours contradictoire. D'un côté on utilise la Sdat et de l’autre on nous dit qu’on ne nous prend pas pour des terroristes.” Julien Lagoutte explicite: “La répression ne se voit pas dans les peines mais dans les procédures appliquées en amont.”

Difficile reconstruction

Aujourd’hui, Jérôme vit avec tout ça. Incapable de revenir sur les lieux de son arrestation, il a habité un temps chez des amis. “Je pleurais beaucoup.” Un an et demi après les faits, il est diagnostiqué d’un syndrome de stress post-traumatique qui lui provoque des maux de tête. Malgré l’aide des psychologues, sa peur des forces de l’ordre est encore vive. “Quand je vois des gyrophares, je me fige. Je me dis que je dois changer de trottoir ou prendre la sortie la plus proche quand je suis en voiture. Il me faut quelques minutes pour me rendre compte que je n’ai pas à avoir peur.”

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