Catégorie : Economie

  • Contre les machines à sous, Kehl a perdu la partie

    En vingt ans, plusieurs lois ont assoupli les règles et causé une prolifération de machines à sous à Kehl, où la plupart des joueur·ses sont français·es. Retour en onze dates sur la bataille judiciaire de la ville contre les bandits manchots.

    Abel Berthomier et Angellina Thiéblemont

    Alors qu’en France, les machines à sous sont interdites, sauf dans certains emplacements comme les stations balnéaires, elles sont autorisées dans les bars et restaurants chez nos voisin·es allemand·es depuis 1950. À Kehl, accessible en tram depuis Strasbourg, elles foisonnent depuis vingt ans dans les casinos, les restaurants et bistrots, attirant de nombreux·ses Français·es qui viennent en outre y consommer tabac et alcool, moins chers outre-Rhin. 

    Quinze dates clés permettent de comprendre comment, à partir de 2006, ces machines ont proliféré à Kehl malgré les craintes municipales et citoyennes et plusieurs initiatives visant à limiter le tapage nocturne et l’addiction au jeu. Dans ce combat opposant la ville aux autorités régionales et fédérales, pour le moment, les machines à sous gagnent à tous les coups.

    27 janvier 2006 : Une nouvelle loi allemande favorise les jeux d’argent

    Le nombre de machines à sous autorisées dans les restaurants passe de deux à trois. Dans les salles de jeux, le nombre maximal d’appareils passe de dix à douze. Cette nouvelle réglementation permet aussi de proposer des gains plus élevés aux joueur·ses pour les inciter à jouer davantage. Cette mesure résulte d’un long lobbying de l’industrie allemande du jeu d’argent. Le président de l’union des machines à sous allemandes (Verband der Deutschen Automatenindustrie), Paul Gauselmann, s’en réjouit publiquement en 2007, saluant « plus de sept ans de luttes politiques et de bras de fer » en faveur d’une « libéralisation responsable du marché ». À Kehl, l’effet est quasi immédiat. « Les machines ont ensuite poussé comme des champignons », raconte la responsable de la communication de la mairie, Annette Lipowsky. Entre 2006 et 2011, le nombre de machines à sous dans les établissements de restauration de Kehl passe de 84 à 268 et de 99 à 265 pour les salles de jeux. 

    10 novembre 2009 : Les restaurants peuvent rester ouverts plus tard

    Une modification du règlement régional sur les restaurants repousse leurs horaires de fermeture de deux à trois heures du matin en semaine et de trois à cinq heures du matin le week-end. Cela concerne aussi les établissements qui accueillent des machines à sous.

    Janvier 2012 : Des Kehlois·es s’érigent contre les machines

    La pétition émane du groupe citoyen Chrétiens et musulmans, elle dénonce les effets négatifs du jeu sur les familles et demande d’endiguer la prolifération des machines. Elle circule dans la majorité des commerces de la ville de 34 000 habitant·es et recueille quelque 4 600 signatures. Elle ne débouche cependant sur rien.

    9 mars 2012 : La mairie de Kehl tente d’endiguer le phénomène 

    La mairie demande au gouvernement fédéral une réduction du nombre de machines autorisées dans les restaurants. Elle sollicite également le Land de Bade-Wurtemberg, auquel elle appartient, afin de rétablir les horaires d’avant 2009, ce qui obligerait les établissements à fermer plus tôt. Ces demandes sont motivées par la volonté de réduire les nuisances sonores occasionnées par les joueur·ses de nuit. 

    19 septembre 2012 : Les bistrots gagnent face à la ville

    Un groupe de bistrotier·es mène une action en justice contre la ville, s’opposant à ce que leurs établissements ferment plus tôt. Le tribunal administratif leur donne raison. Il estime que la ville n’a pas fait de « constatations fiables sur la situation du bruit nocturne dans tout le champ d’application du règlement » et que « les évaluations subjectives des riverains n’étaient pas suffisantes ».

    20 novembre 2012 : Une nouvelle loi épargne les machines à sous

    Pour répondre aux exigences de la Commission européenne en matière de réglementation des jeux d’argent, une nouvelle loi fédérale allemande est adoptée et ensuite déclinée au niveau régional. Elle impose une distance de minimum 500 mètres entre les différentes salles de jeux afin d’en limiter le nombre et une distance minimale de 500 mètres par rapport à toute installation accueillant des mineur·es. Elle entend protéger les jeunes et les joueur·ses.

    La clientèle des casinos de Kehl est en majorité française. © Abel Berthomier

    28 avril 2017 : L’extension du tram amène de nouveaux·elles client·es

    Strasbourg et Kehl sont désormais reliées par le tram D. Les Strasbourgeois·es peuvent se rendre à Kehl en trente minutes et affluer plus facilement dans les salles de jeux.

    10 novembre 2019 : Les restaurants doivent se limiter à deux machines

    Les restaurants et bars peuvent accueillir deux machines maximum, contre trois auparavant. La ville totalise alors 671 machines à sous. « On était la ville de la région de Bade-Wurtemberg avec le plus de machines à sous : une machine à sous pour 54 habitants », précise la mairie. La mesure vise une meilleure protection des joueur·ses et un alignement sur les normes européennes.

    2020 : La pandémie empêche les Français·es de jouer à Kehl

    Certain·es joueur·ses français·es se reportent sur les jeux en ligne pendant la fermeture des frontières avec la pandémie de Covid-19. « À la réouverture des frontières, la plupart [des Français·es dépendant·es aux machines] sont revenus », raconte Louis-Marie D’Ussel, docteur au service d’addictologie de l’hôpital de Strasbourg. En 2022, les recettes de la taxe sur le divertissement atteignent 80 % du niveau pré-Covid.

    Février 2023 : Un ancien cadre de la mairie condamné pour corruption

    L’ancien chef du service de l’ordre public s’était fait promettre 50 000 euros par un exploitant de salle de jeux espérant ainsi qu’il lui accorde des autorisations d’exploitation exceptionnelle pour l’installation des casinos. Il a été condamné à 14 mois de prison avec sursis.

    1er janvier 2023 : Une nouvelle autorité de régulation est opérationnelle

    Une nouvelle autorité régionale de contrôle des jeux d’argent, la Gemeinsame Glücksspielbehörde der Länder (GGL), accorde désormais la licence aux professionnel·les qui souhaitent proposer des services de jeux d’argent. Ces personnes doivent, entre autres critères, démontrer qu’ils et elles adhèrent aux mesures de protection des joueur·ses et qu’ils et elles respectent la transparence des transactions.

    Deux ans après, à Kehl, les recettes de la « taxe sur le divertissement » continuent de diminuer, année après année. Elles étaient de 3 millions d’euros en 2022, contre 6,1 millions d’euros en 2018. Pour l’élu écologiste Norbert Hense, c’est la preuve d’un impact marginal mais progressif de mesures visant à mieux réguler l’industrie du jeu. 

  • Après la fermeture de la centrale, Fessenheim persiste dans le nucléaire

    EDF souhaite redynamiser le territoire de Fessenheim avec une usine de recyclage des déchets radioactifs. Le débat autour du projet est difficile tant la commune se sent dépendante financièrement du nucléaire.

    Lucie Campoy et Yves Poulain

    Éric promène son chien dans les rues de Fessenheim (Haut-Rhin). Il tire sur la laisse pour ne pas être en retard au travail cet après-midi. Employé d’Électricité de France (EDF), il travaillait à la centrale nucléaire de la commune, jusqu’à son arrêt en 2020. « L’ambiance s’est dégradée sur la fin, se rappelle le cinquantenaire. Certains collègues étaient proches de la dépression. » Même si « progressivement, beaucoup sont partis », il travaille toujours pour l’énergéticien sur un barrage et « ne dit pas non pour être employé au futur technocentre ».

    Car EDF envisage d’ouvrir, en 2031, une usine à côté du site de l’ancienne centrale de Fessenheim, à 1,5 kilomètre de l’Allemagne. Un technocentre qui recyclerait des déchets très faiblement radioactifs, issus du démantèlement des centrales nucléaires françaises ou étrangères. Quatre mois durant, ce projet a fait l’objet d’un débat public auquel environ 2 000 personnes ont participé – à la fois originaires de France et d’Allemagne puisque la fonderie impacte les deux côtés du Rhin. Un compte-rendu non contraignant doit désormais être publié, lundi 7 avril, par la Commission nationale du débat public. EDF a trois mois pour décider de poursuivre le projet ou non. Mais localement, le débat n’a rien d’évident, tant l’économie de la commune est liée au nucléaire.

    Piscine, médiathèque, pôle de santé…

    En 2020, l’arrêt des deux réacteurs a fait redouter le déclin de la commune. Selon une enquête de l’Insee parue en 2014, les revenus de 5 000 personnes dépendaient directement ou indirectement de la centrale, et 35 % des habitant·es de Fessenheim étaient concerné·es par sa fermeture. Les avis sur son impact sont désormais partagés, l’économie locale restant stable avec l’arrivée de travailleurs·euses frontalier·es et de résident·es allemand·es. Malgré tout, des élu·es continuent de déplorer ce tournant. « De la valeur ajoutée échappe au territoire, avec des habitants qui ne vont pas travailler localement », regrette le député Les Républicains de la circonscription, Raphaël Schellenberger. 

    « La centrale était le poumon économique de la commune, il est difficile d’avoir un avis objectif. »

    André Hatz, président de l’association antinucléaire Stop Fessenheim

    En 42 ans d’activité de la centrale, la commune en est devenue dépendante. Les taxes payées par EDF ont permis de financer de nombreuses infrastructures, inhabituelles pour une commune de 2 200 habitant·es : piscine, stade, centre de secours, médiathèque, complexe culturel et associatif, pôle de santé, etc. En 2019, les recettes fiscales de Fessenheim étaient d’environ 1 800 euros par habitant·e, alors que la commune voisine de Nambsheim ne disposait que de la moitié. « C’est grâce à ces taxes qu’on a des terrains de jeux et que les enfants de l’école sont partis au ski l’hiver dernier », estime Carine, assistante maternelle venue récupérer trois enfants à l’école.

    Carine n’a pas entendu parler de la consultation. Mais dans son compte-rendu, le garant du débat public Jean-Louis Laure avance au moins cinq recommandations à destination d’EDF. Parmi elles, la nécessité de mettre au clair « le volet socio-économique, qui comporte des insuffisances ». L’entreprise n’aurait pas publié de données financières détaillées sur les coûts et impacts du technocentre. Le directeur du site de Fessenheim, Laurent Jarry, invoque « le secret des affaires » sur ces chiffres.

    André Hatz s’oppose depuis 50 ans à la centrale de Fessenheim. © Lucie Campoy

    L’énergéticien présente simplement trois chiffres. Le coût d’investissement du projet est évalué à 450 millions d’euros (hors taxes), ce qui ne convainc pas certain·es opposant·es. André Hatz, président de l’association antinucléaire Stop Fessenheim, estime que ce montant est sous-évalué et que l’argent public de l’entreprise aurait pu être utilisé à meilleur escient, « pour des hôpitaux par exemple ». Pour le député Raphaël Schellenberger, le débat n’est pas là : « Ce n’est pas un projet qui a vocation à être rentable, mais à recycler des déchets nucléaires actuellement stockés. » EDF avance ensuite un chiffre d’affaires prévisionnel estimé entre 50 et 100 millions d’euros par an. Une évaluation sur laquelle des détails manquent à ce stade.

    200 emplois promis par EDF

    EDF indique enfin pouvoir apporter à la commune des ressources fiscales annuelles de 2,4 millions d’euros, liées au paiement d’une taxe foncière. Un enjeu crucial pour la ville, comme en témoigne l’énigmatique banderole accrochée à l’entrée de la mairie : « Macron au secours, prélèvement FNGIR = faillite du territoire ! » Fessenheim est en effet dans une situation imprévue : 2,9 millions d’euros lui sont prélevés par l’État chaque année, un montant répercuté sur le budget de la communauté de communes. Une situation héritée de la période où la centrale fonctionnait encore, qui vise à équilibrer les recettes des communes françaises. Le prélèvement est lié à la prospérité de la commune, mais est calculé sur les revenus de 2010, alors que les rentrées fiscales n’existent plus aujourd’hui.

    Pour André Hatz, il reste logique que le maire de Fessenheim soutienne à tout prix le projet de technocentre. « Presque tous les habitants travaillaient à la centrale nucléaire ou avaient un proche salarié, analyse le militant antinucléaire. C’était le poumon économique de la commune, alors il est difficile d’avoir un avis objectif. » D’autant qu’EDF promet de faire revenir de l’activité dans « un territoire auquel il est très attaché », selon Laurent Jarry. En plus de la centaine de salarié·es actuellement mobilisé·es pour démanteler la centrale, l’entreprise annonce créer 200 à 300 postes pour le chantier du technocentre. Ainsi que 200 emplois après sa mise en service en 2031.

    « La course aux renouvelables est stupide »

    Face à ces arguments pour redynamiser le territoire, les alternatives au nucléaire ont du mal à peser. D’autant que l’un des projets majeurs de l’après-centrale, symbole de la coopération franco-allemande, a pris l’eau. La société d’économie mixte (SEM) Novarhena, créée en 2021 avec des actionnaires français·es et allemand·es, devait aménager un parc d’activité situé à Nambsheim, au nord de Fessenheim. Mais pour des raisons environnementales, le périmètre dédié est passé de 220 à 56 hectares, réduisant l’utilité d’un organisme de cette envergure. Un an et demi plus tard, après 480 000 euros dépensés, la SEM est dissoute sans avoir entamé le chantier.

    La ville de Fessenheim verse chaque année 2,9 millions d’euros au Fonds national de garantie individuelle des ressources (FNGIR). © Lucie Campoy

    Les propositions de transition vers les énergies renouvelables ne font, quant à elles, pas encore l’objet d’un réel soutien politique. À la demande du préfet, en mars 2019, le chercheur en physique Thierry de Larochelambert a écrit une proposition sur la transition énergétique dans le Haut-Rhin. Membre de l’institut FEMTO-ST rattaché au CNRS, il propose de « convertir tous les emplois directs et indirects liés à la centrale » vers les énergies renouvelables. Selon lui, « la richesse d’un territoire ne vient pas d’une seule entreprise. Il faut un tissu économique très divers, basé sur des technologies pertinentes et efficaces, tournées vers l’avenir. »

    « J’étais vraiment heureux quand la centrale a été arrêtée. Je pensais que nous pourrions transformer la région en une zone sans nucléaire, avec des énergies renouvelables », regrette Stefan Auchter, directeur d’une antenne régionale de l’association écologiste allemande Bund, basée à Fribourg-en-Brisgau (Bade-Wurtemberg). Un scénario que n’envisage pas du tout le maire de Fessenheim, Claude Brender : « La course aux renouvelables est stupide et ne sert à rien. Le futur, c’est plutôt de nouveaux réacteurs à Fessenheim. »

  • Train Colmar-Fribourg, le projet reste à quai

    Plus aucun train ne relie les villes franco-allemandes de Colmar et Fribourg-en-Brisgau depuis 1945. Pourquoi le projet de rétablissement de la ligne est-il au point mort malgré la demande d’associations et d’élu·es locaux·les ? Décryptage.

    Yanis Drouin et Tristan Vanuxem

    À vol d’oiseau, 35 kilomètres séparent Colmar, en France, et Fribourg-en-Brisgau, en Allemagne. Pourtant, il faut au moins une heure trente pour relier en transports publics ces deux villes parmi les plus peuplées autour de la frontière – 67 000 habitant·es pour Colmar (Haut-Rhin), 237 000 pour Fribourg (Bade-Wurtemberg). Une ligne directe de train permettrait, elle, de rallier les deux villes en quarante-cinq minutes, là où il faut près d’une heure en voiture. Une ligne ferroviaire qui, de surcroît, existait bel et bien de 1878 jusqu’à la fin de la Seconde Guerre mondiale, quand les Français·es détruisirent le pont survolant le Rhin, brisant ainsi la liaison. 

    Cela fait donc 30 ans qu’il est question de redonner vie à ce tracé. Une première étude juge le projet faisable en 1997, puis Emmanuel Macron, tout juste élu, promet de rétablir la liaison en 2017. Deux ans plus tard, il signe avec la chancelière allemande Angela Merkel le traité d’Aix-la-Chapelle qui, dans la continuité du traité de 1963, définit l’amitié et la coopération franco-allemande et liste quinze projets prioritaires, dont le retour d’un train entre Colmar et Fribourg. Mais sur le terrain, toujours rien. La faute à une série de désaccords portant essentiellement sur la nature des financements.

    Près d’un milliard d’euros de travaux

    En 2019, selon une étude menée dans la foulée de la signature du traité d’Aix, le coût du projet est estimé entre 237 et 275 millions d’euros. Sauf qu’en à peine six ans, celui-ci aurait triplé pour atteindre environ 880 millions d’euros, nous indique la mairie de Fribourg, citant les chiffrages les plus récents qui n’ont pas encore été rendus publics. D’après nos entretiens avec différents acteurs du dossier, cette explosion de la note est en partie liée à l’approche précautionneuse des Français·es.

    Une ligne aux voies quasi-existantes

    Il s’agirait en effet, côté français, de transformer une ligne ferroviaire actuellement dédiée au fret, avec seulement deux passages de train de marchandise par jour, en une ligne beaucoup plus empruntée où la SNCF préconise de supprimer les passages à niveau, jugés trop dangereux. La sécurisation du rail, impliquant la construction de nombreuses infrastructures telles que des passerelles pour que les piéton·nes et voyageur·euses puissent la franchir, fait logiquement grimper la facture.

    Et ce choix fait débat. Vincent Denefeld, président de l’association franco-allemande Trans Rhin Rail, qui milite pour la réouverture de la ligne depuis 2012, estime que ces structures coûteuses ne sont pas nécessaires partout. En témoigne selon lui l’expérience allemande. « Du côté allemand, un train de voyageurs passe sur cette ligne toutes les demi-heures et les passages à niveau ne posent pas de problème particulier », oppose-t-il aux recommandations françaises.

    Coté allemand, les rails s’arrêtent à Vieux-Brisach, à 500 mètres du Rhin. © Yanis Drouin

    L’Allemagne, qui a déjà l’expérience du transport de passager·es sur sa portion de ligne, envisage de son côté le doublement de la voie ferroviaire. Ces travaux participent, eux aussi, de la forte augmentation des coûts annoncés. Transportant déjà 11 000 voyageur·euses par jour jusqu’à Vieux-Brisach (chiffres du land du Bade-Wurtemberg), les Allemand·es sont plutôt confiants quant à l’utilité des travaux. L’enquête publique réalisée en 2019 estimait que 3 500 à 6 000 voyageurs par jour emprunteraient la nouvelle ligne au départ de Colmar.

    Les deux pays achoppent in fine sur la nature des financements de la ligne ferroviaire. La France veut inscrire le projet au programme européen RTE-T (Réseau transeuropéen de transport), qui permet d’obtenir des fonds de l’Union européenne, mais implique plus de normes et d’adapter la ligne à la circulation de fret. Les Allemand·es, peu favorables à ces contraintes supplémentaires, n’auraient pas délivré leur demande, annulant la possibilité d’obtenir les subventions.

    6 000 voyageur·euses potentiel·les

    Tandis que le projet patine, de nombreux·euses usager·es se retrouvent sans offre de transport adaptée. Du fait des longs temps de trajets en transports en commun, la plupart privilégient la voiture. Sur le pont routier traversant le Rhin qui permet de rallier les deux villes, la région Grand Est a décompté en 2023 une moyenne de 13 000 véhicules par jour, soit un passage toutes les six secondes. 

    Un trajet aux nombreux détours

    Vincent Denefeld, Colmarien travaillant à Fribourg et président de Trans Rhin Rail, effectue quotidiennement ce trajet. Longtemps, il a utilisé la voiture de bout en bout. Aujourd’hui, il va en voiture jusqu’à la gare de Vieux-Brisach, à l’entrée de l’Allemagne et à trente minutes de Colmar. Il y prend l’un des nombreux trains qui conduisent à Fribourg, le jugeant « pratique, reposant, et permettant de faire des économies d’essence ».

    Des deux côtés de la frontière, de nombreux·euses élu·es soutiennent le projet. À Fribourg, la mairie affirme voir « une grande influence positive possible d’une liaison directe. Cela pourrait en outre être un exemple très concret de l’amitié franco-allemande – un élément de liaison au sens propre du terme ». Quant à Philippe Mas, maire de Volgelsheim, il y voit une opportunité de développer les mobilités douces sur tout le territoire, à condition de rendre la gare accessible. « Le projet serait incomplet s’il n’y avait pas de navettes vers les autres communes », souligne-t-il. Tous espèrent que la nouvelle enquête en cours, devant se terminer à l’automne 2025, réduise la facture et identifie un mode de financement réaliste. Il s’agira de la cinquième étude de projet en huit ans. Si elle permet de lancer définitivement les travaux, une mise en service à l’horizon 2033 deviendrait envisageable.