EDF souhaite redynamiser le territoire de Fessenheim avec une usine de recyclage des déchets radioactifs. Le débat autour du projet est difficile tant la commune se sent dépendante financièrement du nucléaire.
Éric promène son chien dans les rues de Fessenheim (Haut-Rhin). Il tire sur la laisse pour ne pas être en retard au travail cet après-midi. Employé d’Électricité de France (EDF), il travaillait à la centrale nucléaire de la commune, jusqu’à son arrêt en 2020. « L’ambiance s’est dégradée sur la fin, se rappelle le cinquantenaire. Certains collègues étaient proches de la dépression. » Même si « progressivement, beaucoup sont partis », il travaille toujours pour l’énergéticien sur un barrage et « ne dit pas non pour être employé au futur technocentre ».
Car EDF envisage d’ouvrir, en 2031, une usine à côté du site de l’ancienne centrale de Fessenheim, à 1,5 kilomètre de l’Allemagne. Un technocentre qui recyclerait des déchets très faiblement radioactifs, issus du démantèlement des centrales nucléaires françaises ou étrangères. Quatre mois durant, ce projet a fait l’objet d’un débat public auquel environ 2 000 personnes ont participé – à la fois originaires de France et d’Allemagne puisque la fonderie impacte les deux côtés du Rhin. Un compte-rendu non contraignant doit désormais être publié, lundi 7 avril, par la Commission nationale du débat public. EDF a trois mois pour décider de poursuivre le projet ou non. Mais localement, le débat n’a rien d’évident, tant l’économie de la commune est liée au nucléaire.
Piscine, médiathèque, pôle de santé…
En 2020, l’arrêt des deux réacteurs a fait redouter le déclin de la commune. Selon une enquête de l’Insee parue en 2014, les revenus de 5 000 personnes dépendaient directement ou indirectement de la centrale, et 35 % des habitant·es de Fessenheim étaient concerné·es par sa fermeture. Les avis sur son impact sont désormais partagés, l’économie locale restant stable avec l’arrivée de travailleurs·euses frontalier·es et de résident·es allemand·es. Malgré tout, des élu·es continuent de déplorer ce tournant. « De la valeur ajoutée échappe au territoire, avec des habitants qui ne vont pas travailler localement », regrette le député Les Républicains de la circonscription, Raphaël Schellenberger.
« La centrale était le poumon économique de la commune, il est difficile d’avoir un avis objectif. »
André Hatz, président de l’association antinucléaire Stop Fessenheim
En 42 ans d’activité de la centrale, la commune en est devenue dépendante. Les taxes payées par EDF ont permis de financer de nombreuses infrastructures, inhabituelles pour une commune de 2 200 habitant·es : piscine, stade, centre de secours, médiathèque, complexe culturel et associatif, pôle de santé, etc. En 2019, les recettes fiscales de Fessenheim étaient d’environ 1 800 euros par habitant·e, alors que la commune voisine de Nambsheim ne disposait que de la moitié. « C’est grâce à ces taxes qu’on a des terrains de jeux et que les enfants de l’école sont partis au ski l’hiver dernier », estime Carine, assistante maternelle venue récupérer trois enfants à l’école.
Carine n’a pas entendu parler de la consultation. Mais dans son compte-rendu, le garant du débat public Jean-Louis Laure avance au moins cinq recommandations à destination d’EDF. Parmi elles, la nécessité de mettre au clair « le volet socio-économique, qui comporte des insuffisances ». L’entreprise n’aurait pas publié de données financières détaillées sur les coûts et impacts du technocentre. Le directeur du site de Fessenheim, Laurent Jarry, invoque « le secret des affaires »sur ces chiffres.
L’énergéticien présente simplement trois chiffres. Le coût d’investissement du projet est évalué à 450 millions d’euros (hors taxes), ce qui ne convainc pas certain·es opposant·es. André Hatz, président de l’association antinucléaire Stop Fessenheim, estime que ce montant est sous-évalué et que l’argent public de l’entreprise aurait pu être utilisé à meilleur escient, « pour des hôpitaux par exemple ». Pour le député Raphaël Schellenberger, le débat n’est pas là : « Ce n’est pas un projet qui a vocation à être rentable, mais à recycler des déchets nucléaires actuellement stockés. » EDF avance ensuite un chiffre d’affaires prévisionnel estimé entre 50 et 100 millions d’euros par an. Une évaluation sur laquelle des détails manquent à ce stade.
200 emplois promis par EDF
EDF indique enfin pouvoir apporter à la commune des ressources fiscales annuelles de 2,4 millions d’euros, liées au paiement d’une taxe foncière. Un enjeu crucial pour la ville, comme en témoigne l’énigmatique banderole accrochée à l’entrée de la mairie : « Macron au secours, prélèvement FNGIR = faillite du territoire ! » Fessenheim est en effet dans une situation imprévue : 2,9 millions d’euros lui sont prélevés par l’État chaque année, un montant répercuté sur le budget de la communauté de communes. Une situation héritée de la période où la centrale fonctionnait encore, qui vise à équilibrer les recettes des communes françaises. Le prélèvement est lié à la prospérité de la commune, mais est calculé sur les revenus de 2010, alors que les rentrées fiscales n’existent plus aujourd’hui.
Pour André Hatz, il reste logique que le maire de Fessenheim soutienne à tout prix le projet de technocentre. « Presque tous les habitants travaillaient à la centrale nucléaire ou avaient un proche salarié, analyse le militant antinucléaire. C’était le poumon économique de la commune, alors il est difficile d’avoir un avis objectif. » D’autant qu’EDF promet de faire revenir de l’activité dans « un territoire auquel il est très attaché », selon Laurent Jarry. En plus de la centaine de salarié·es actuellement mobilisé·es pour démanteler la centrale, l’entreprise annonce créer 200 à 300 postes pour le chantier du technocentre. Ainsi que 200 emplois après sa mise en service en 2031.
« La course aux renouvelables est stupide »
Face à ces arguments pour redynamiser le territoire, les alternatives au nucléaire ont du mal à peser. D’autant que l’un des projets majeurs de l’après-centrale, symbole de la coopération franco-allemande, a pris l’eau. La société d’économie mixte (SEM) Novarhena, créée en 2021 avec des actionnaires français·es et allemand·es, devait aménager un parc d’activité situé à Nambsheim, au nord de Fessenheim. Mais pour des raisons environnementales, le périmètre dédié est passé de 220 à 56 hectares, réduisant l’utilité d’un organisme de cette envergure. Un an et demi plus tard, après 480 000 euros dépensés, la SEM est dissoute sans avoir entamé le chantier.
Les propositions de transition vers les énergies renouvelables ne font, quant à elles, pas encore l’objet d’un réel soutien politique. À la demande du préfet, en mars 2019, le chercheur en physique Thierry de Larochelambert a écrit une proposition sur la transition énergétique dans le Haut-Rhin. Membre de l’institut FEMTO-ST rattaché au CNRS, il propose de « convertir tous les emplois directs et indirects liés à la centrale » vers les énergies renouvelables. Selon lui, « la richesse d’un territoire ne vient pas d’une seule entreprise. Il faut un tissu économique très divers, basé sur des technologies pertinentes et efficaces, tournées vers l’avenir. »
« J’étais vraiment heureux quand la centrale a été arrêtée. Je pensais que nous pourrions transformer la région en une zone sans nucléaire, avec des énergies renouvelables », regrette Stefan Auchter, directeur d’une antenne régionale de l’association écologiste allemande Bund, basée à Fribourg-en-Brisgau (Bade-Wurtemberg). Un scénario que n’envisage pas du tout le maire de Fessenheim, Claude Brender : « La course aux renouvelables est stupide et ne sert à rien. Le futur, c’est plutôt de nouveaux réacteurs à Fessenheim. »